Nobel de la paix : peut-on dresser un profil type des lauréats ?
Le prix 2018 a été attribué à Denis Mukwege, gynécologue congolais, et Nadia Murad, militante yézidie, pour leur action contre les violences sexuelles comme arme de guerre.
Le prix Nobel de la paix a été attribué, vendredi 5 octobre, à Oslo (Norvège), au médecin congolais Denis Mukwege et à la yézidie Nadia Murad, ex-esclave de l’organisation Etat islamique (EI), « pour leurs efforts pour mettre fin à l’emploi des violences sexuelles en tant qu’arme de guerre ». A plusieurs égards, ils sont représentatifs de l’effort du comité Nobel en faveur de la diversité.
Le palmarès 2018 : Qui sont les lauréats des prix Nobel 2018 et qu’ont-ils accompli ?
Nadia Murad, jeune femme yézidie, née en Irak, et le Congolais Denis Mukwege sont tous deux les premiers représentants de leurs pays respectifs à recevoir cette distinction prestigieuse. Le Nobel de la paix est pourtant le plus « international » des prix Nobel, puisqu’il a été décerné à quarante-deux nationalités contre seulement dix-neuf pour le Nobel de physique ou de chimie, et onze pour le prix de sciences économiques.
Les Etats-Unis (vingt et une récompenses), le Royaume-Uni (onze) et la France ont reçu le plus de prix, en particulier au début du XXe siècle, alors qu’on n’en compte que onze pour tout le continent africain.
Les deux Nobel de la paix 2018 sont des personnalités fortes, que leurs parcours ont amenées à devenir militantes : Nadia Murad a écrit un livre sur la persécution lorsqu’elle était captive de l’Etat islamique, et se bat depuis pour la cause yézidie et contre l’esclavage sexuel. Denis Mukwege est un médecin spécialisé dans la chirurgie réparatrice des femmes victimes de viol de guerre.
Selon les vœux d’Alfred Nobel, le prix récompense « une personnalité ou une communauté ». De fait, des organisations ont été primées à vingt-sept reprises, dont dix fois au cours des vingt dernières années.
Deux d’entre elles ont même été primées à plusieurs reprises : le Comité international de la Croix-Rouge, trois fois (en 1917, 1944 et 1963) et le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, deux fois (en 1954 et 1981). L’ONU et plusieurs de ses agences (Unicef, force de maintien de la paix, GIEC…) ont été distinguées.
Nadia Murad est la dix-septième femme à recevoir le Nobel de la paix. Très peu de femmes ont été récompensées durant tout le XXe siècle, mais elles sont sept à avoir reçu ce prix depuis 2003, année où l’avocate iranienne Shirin Ebadi a été distinguée pour son combat pour les droits humains, et particulièrement des femmes et des enfants.
Cela semble peu, mais les lauréates du Nobel de la paix représentent à elles seules un tiers des cinquante femmes récompensées par les six prix décernés par le comité Nobel (contre une seule en économie).
Le comité Nobel peut aussi choisir de ne pas remettre de prix : cela fut le cas à dix-neuf reprises, en particulier durant les deux guerres mondiales, mais aussi dans les années 1930 ou 1960. Les statuts de la fondation prévoient, en effet, que si aucun des profils soumis à sa considération ne semble assez important pour être primé, la dotation soit conservée pour le prix de l’année suivante. Le dernier cas remonte à 1972.
Le prix 2018 a été remis conjointement à deux lauréats aux profils différents, mais partageant le même combat. Cette configuration est assez fréquente, puisqu’elle s’est produite à trente reprises dans l’histoire des Nobel. Cela a été le cas, par exemple, en 2014 avec Malala Yousafzaï et Kailash Satyarthi, une Pakistanaise et un Indien qui œuvraient pour le droit des enfants à l’éducation. En revanche, le prix n’a été remis que deux années à un trio : en 1994 (YasserArafat, Shimon Pérès et Yitzhak Rabin) et en 2011 (Ellen Johnson Sirleaf, Leymah Gbowee et Tawakkol Karman).
A 63 ans, Denis Mukwege est dans la moyenne d’âge des lauréats du prix Nobel de la paix. Nadia Murad, 25 ans, est la deuxième plus jeune, après Malala Yousafzaï, qui avait 17 ans à l’époque.
Comme le montrait une datavisualisation de The Economist en 2016, les Prix Nobel sont de plus en plus âgés lors de leur nomination, à l’exception notable des Nobel de la paix, qui « rajeunissent » au fil des ans.
Seul l’homme politique vietnamien Le Duc Tho refusa la distinction, en 1973. Il avait négocié les accords de paix de Paris pour le Vietnam du Nord face à l’Américain Henry Kissinger.
Trois personnes étaient en prison lorsqu’elles reçurent leur prix : le journaliste allemand Carl von Ossietzky, opposant au régime nazi, en 1935 ; la militante birmane Aung San Suu Kyi, en 1991 ; et le militant des droits humains chinoisLiu Xiaobo, en 2010.
Les prix Nobel de la paix sont remis aux personnes ou aux communautés ayant œuvré « au rapprochement des peuples, à la suppression ou à la réduction des armées permanentes, à la réunion et à la propagation des progrès pour la paix ». Concrètement, il peut s’agir d’un engagement pour les droits humains, d’actions de désarmement, d’un combat écologique…
L’action récompensée en 2018, la lutte contre les violences sexuelles comme arme de guerre, se trouve à la croisée de plusieurs domaines distingués par les Nobel.